LÉGENDE DE PÉROUSE 39-42

SÉVÉRITÉ ENVERS LUI-MÊME DURANT SA MALADIE

  1. En ce temps-là, comme il relevait d’une très grave maladie, il lui sembla, en s’examinant, que pendant cette période il s’était un peu laissé aller au relâchement. Il avait pourtant mangé très peu car, à cause de ses nombreuses, diverses et longues infirmités, il ne supportait à peu prés aucune nourriture. Un jour il se leva, encore en proie à la fièvre quarte, et fit rassembler tout le peuple sur la place pour une prédication. A la fin il demanda à tous de rester jusqu’à ce qu’il revienne, il entra dans l’église Saint-Rufin, descendit dans la Confession[1] avec frère Pierre de Catane, le premier Ministre général qu’il avait choisi lui-même, et avec quelques autres frères. Il prescrivit au frère Pierre d’obéir et de ne pas s’opposer à ce qu’il voulait dire et faire, et Pierre lui répondit : « Je ne puis et ne dois vouloir rien d’autre que ton bon plaisir, en ce qui nous concerne toi et moi. »

Le bienheureux François se dépouilla de sa tunique et ordonna au frère Pierre de le conduire ainsi, nu, la corde au cou, devant le peuple. A un autre frère il prescrivit de prendre une écuelle pleine de cendres, de monter à l’endroit d’où il avait prêché et de la lui répandre sur la tête ; mais ce frère, ému de pitié et de compassion, ne voulut pas obéir. Le frère Pierre conduisit le bienheureux comme il en avait reçu l’ordre, en gémissant à haute voix, ainsi que les autres frères.

Quand il fut arrivé devant le peuple sur la place où il avait prêché, le saint parla en ces termes : « Vous me croyez un saint homme, comme font aussi ceux qui, à mon exemple, quittent le monde, entrent dans l’Ordre et mènent la vie des frères. Eh bien ! je confesse à Dieu et à vous que pendant ma maladie j’ai fait gras et mangé du ragoût ! » De pitié et de compassion, tous fondirent en larmes ; c’était l’hiver, il faisait très froid, et il n’était pas encore guéri de sa fièvre quarte. Ils se frappaient la poitrine, s’accusant eux-mêmes et disaient : « Ce saint homme, avec grande humilité, s’accuse d’avoir ménagé sa santé alors qu’il en a si manifestement besoin. Nous qui connaissons bien sa vie, nous savons que c’est à cause de son excès d’abstinence et d’austérité depuis sa conversion, que nous le voyons vivre dans une chair presque morte. Que ferons-nous donc, malheureux que nous sommes, nous qui, toute notre vie, avons vécu et voulons vivre conformément aux volontés et aux désirs de la chair ! ».

  1. Au temps où il passait le carême de la Saint-Martin dans un ermitage[2], les frères, à cause de sa maladie, accommodaient au lard les aliments, car l’huile l’incommodait beaucoup. A la fin du carême, comme il prêchait à une grande foule rassemblée non loin de l’ermitage, il commença par ces mots : « Vous venez à moi avec grande dévotion et vous me croyez un saint homme ; mais je confesse à Dieu et à vous que, durant le carême que j’ai passé dans cet ermitage, j’ai mangé des légumes au lard ! »

Il lui arrivait parfois, quand il mangeait avec les frères ou les amis des frères, de se relâcher un peu de ses mortifications corporelles à cause de ses maladies, mais aussitôt, dans la maison ou hors de la maison, il proclamait devant les frères et même devant les séculiers qui ignoraient ce détail : « J’ai mangé telle ou telle chose. » Car il ne voulait pas cacher aux hommes ce qui était connu de Dieu. S’il lui arrivait, en compagnie de religieux ou de séculiers, d’avoir l’esprit troublé par la vaine gloire, l’orgueil ou un autre vice, il s’en confessait aussitôt à eux, simplement et sans rien dissimuler. Il dit un jour à ses compagnons : « Près de Dieu, dans les ermitages ou les autres couvents où je séjourne, je veux vivre comme si les hommes me voyaient. Puisqu’ils me prennent pour un saint, je serais un hypocrite si je ne menais pas la vie qui convient à un saint ! »

Une fois, en hiver, pour remédier à sa maladie de la rate et à sa froideur d’estomac, un de ses compagnons, qui lui servait de gardien, se procura une peau de renard et lui demanda la permission de la lui coudre sous sa tunique à l’endroit de la rate et de l’estomac- Il faisait alors grand froid. Or, depuis qu’il était au service du Christ, le bienheureux François ne consentait à porter en tout temps – et il en fut ainsi jusqu’à sa mort – qu’une seule tunique, quitte à y coudre une pièce s’il voulait la renforcer[3]. Le saint répondit : « Si tu veux que je porte cette peau sous ma tunique, fais-en coudre aussi un morceau à l’extérieur afin qu’on sache bien que je porte une fourrure sous mon habit ». Ainsi fut fait. Mais le bienheureux ne la porta pas longtemps, bien qu’elle lui fût très nécessaire à cause de ses infirmités.

  1. Une autre fois, il traversait Assise, et beaucoup de gens le suivaient. Une pauvre petite vieille lui demanda l’aumône pour l’amour de Dieu. Sur-le-champ il lui donna le manteau qui lui couvrait les épaules. Mais tout aussitôt il confessa devant tous que ce geste avait provoqué en lui un sentiment de vaine gloire.

Il a donné bien d’autres exemples semblables. Nous les avons vus et entendus, nous qui avons vécu avec lui, mais il serait trop long de les raconter tous par écrit. Toujours son principal et suprême souci fut de ne pas être hypocrite devant Dieu. Sa maladie rendait nécessaires quelques ménagements pour son corps, mais il se considérait comme tenu de donner le bon exemple aux frères et aux autres hommes pour leur enlever toute occasion de murmure et de scandale. Il préférait supporter patiemment les exigences de son corps – ce qu’il fit jusqu’au jour de sa mort – plutôt que d’y satisfaire, bien qu’il eût pu le faire sans manquer à Dieu ni au devoir de donner l’exemple.

  1. Voyant que le saint continuait, comme il l’avait toujours fait, d’être dur pour son corps et qu’il refusait de se faire soigner les yeux, alors qu’il commençait à perdre la vue, l’évêque d’Ostie, qui plus tard devint pape, lui adressa cette monition avec beaucoup d’amour et de compassion : « Frère, ce n’est pas bien de refuser qu’on te soigne les yeux, car ta santé et ta vie sont très utiles, à toi et aux autres. Toi qui as toujours compati aux misères de tes frères, tu ne devrais pas avoir pour toi-même cette cruauté, car ta maladie est grave et tu te trouves dans une grande et évidente nécessité. C’est pourquoi je t’ordonne de te laisser soulager et soigner ! « 

Deux ans avant sa mort, déjà bien malade et souffrant surtout des yeux, il habitait prés de Saint-Damien une cellule faite de nattes. Le Ministre général[4], voyant que son cas était grave, lui ordonna de se laisser secourir et soigner. Il lui dit en outre qu’il voulait être présent quand le médecin commencerait le traitement, pour veiller à ce qu’il fût bien soigné et pour le réconforter, car il souffrait beaucoup. Mais alors il faisait très froid, et le temps n’était pas propice pour commencer la cure.

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[1] Crypte où sont conservées et vénérées les reliques des saints.

[2] A Poggio Bustone et vers la Noël, d’après 2 C 131.

[3] Cf. 1 Reg 2 14 ; 2 Reg 2 16 ; Test 16.

[4] C’était alors frère Elie : 1 C 98.

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