LÉGENDE DE PÉROUSE 18-19

BALAYAGE DES ÉGLISES. FRÈRE JEAN LE SIMPLE

  1. A l’époque où le bienheureux François demeurait à Sainte-Marie de la Portioncule et où il n’avait encore que quelques frères, il parcourait parfois les hameaux et visitait les églises des environs d’Assise, annonçant et prêchant aux hommes la pénitence. Il emportait alors un balai pour nettoyer les églises. Il souffrait beaucoup, en effet, en entrant dans une église, s’il la voyait malpropre. Aussi, quand il avait fini de prêcher au peuple, il réunissait tous les prêtres qui se trouvaient là, et les emmenait à l’écart pour n’être pas entendu des laïcs. Il leur parlait alors du salut des âmes[1] et leur rappelait surtout le soin qu’ils devaient apporter à tenir propres les églises, les autels et tout ce qui sert à la célébration des mystères divins.
  1. Un jour, le bienheureux François entra dans l’église d’un village situé sur le territoire d’Assise, et se mit à balayer. La nouvelle s’en répandit aussitôt dans le village, car les habitants avaient toujours plaisir à le voir et à l’écouter.              Un certain Jean, homme d’une admirable simplicité, qui labourait son champ voisin de l’église, averti de son arrivée, alla le trouver pendant qu’il balayait. Et il lui dit : « Frère, je veux t’aider, donne-moi ton balai ! » Il lui prit le balai et acheva la besogne. Puis ils s’assirent, et cet homme dit au bienheureux François : « Depuis longtemps, ma volonté est de servir Dieu, surtout depuis que j’ai entendu parler de toi et de tes frères ; mais je ne savais comment te trouver. Puisque le Seigneur a bien voulu ménager notre rencontre, je veux faire tout ce qu’il te plaira. » A voir tant de ferveur, le bienheureux François se réjouit dans le Seigneur, surtout qu’il n’avait encore que peu de frères et que cet homme, avec sa pure simplicité[2], lui semblait devoir faire un bon religieux. Et il lui dit : « Frère, si tu veux partager notre vie et t’associer à nous, tu dois te dépouiller de tous les biens que tu possèdes légitimement, et les donner aux pauvres selon le conseil du saint Evangile. C’est là ce qu’ont fait aussi ceux de mes frères qui le pouvaient. » Aussitôt l’homme courut au champ où il avait laissé ses bœufs, les détela et en amena un devant le bienheureux François. «  Frère, lui dit-il, voilà bien des années que je suis au service de mon père et de tous ceux qui vivent à la maison. Ce bœuf n’est qu’une petite partie de l’héritage qui me revient. Je veux que tu le prennes et que tu le donnes aux pauvres de la manière qui, selon Dieu, te paraîtra la meilleure. »                                                                                                                 Voyant qu’il se disposait à les quitter, ses frères encore tout petits, et tous ceux de la maison se mirent à pleurer très fort et à gémir très haut. A ce spectacle, le bienheureux François fut ému de pitié, d’autant plus que cette famille était nombreuse et sans ressources. Il leur dit : « Préparez un repas : nous mangerons ensemble ; et ne pleurez plus, car je vais vous rendre la joie. » Tout le monde aussitôt s’affaira, et le repas se déroula dans l’allégresse générale. Quand il fut terminé, le bienheureux François leur dit : « Votre fils que voici veut servir Dieu ; vous ne devez pas vous en attrister mais vous en réjouir. C’est un honneur pour vous, non seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux du monde. Vous en tirerez profit pour vos âmes et pour vos corps ; Dieu sera honoré par quelqu’un de votre famille ; et tous nos frères désormais seront aussi et vos fils et vos frères. Puisqu’une créature de Dieu, que voilà, veut servir le Créateur, et puisque être serviteur de Dieu c’est être roi[3], je ne peux pas et je ne dois pas vous rendre votre enfant. Mais pour que vous receviez et conserviez de lui quelque consolation, et puisque vous êtes pauvres, je veux qu’il se dépouille de ce bœuf en votre faveur, bien que, suivant le conseil du saint Evangile, il devrait plutôt le donner à d’autres pauvres. » Ils furent tous bien aises de ces paroles et, comme ils étaient pauvres, se réjouirent surtout de ce que le bœuf leur fût rendu.                                                                                                                                                                                                         Le bienheureux François, qui aima toujours la pure et sainte simplicité en lui et chez les autres, se prit d’affection pour Jean ; il lui donna l’habit et se l’adjoignit aussitôt pour compagnon. Ce frère était tellement simple qu’il se croyait tenu de faire tout ce que faisait le bienheureux François. Quand celui-ci était dans une église, le frère voulait le voir et l’observer pour se conformer à toutes ses attitudes : s’il faisait une génuflexion ou levait au ciel ses mains jointes, s’il crachait ou s’il toussait, le frère reproduisait ses gestes. Le bienheureux François très amusé de cette simplicité, entreprit pourtant de le réprimander. Mais l’autre répondit :                                                                                                         « Père, j’ai promis de faire tout ce que tu ferais ; je veux donc faire tout ce que tu fais ! » Et le bienheureux François était dans l’admiration et dans la joie de voir une telle pureté et simplicité. Ce frère fit de tels progrès en toutes vertus et en sainteté, que François et les autres frères demeuraient stupéfaits devant tant de perfection. Peu de temps après il mourut, sans avoir dévié de cette sainte perfection. C’est pourquoi le bienheureux François, avec une grande joie intérieure et extérieure, racontait sa vie aux frères et l’appelait non pas « frère Jean », mais « saint Jean ».

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[1] On pourrait comprendre aussi : du salut de leur âme.

[2] Expression encore reprise un peu plus bas. Pour saint François, cette vertu est sœur de la « reine Sagesse » ; cf. SV 1.

[3] Pontifical, Monition de l’évêque aux futurs sous diacres, avant le « pas ». – Missel. Postcommunion de la Messe pour la paix. – Glossa interlin., ad Rm 1 1, dans Nicolas de Lyre, Biblia sacra, t. 6, Venise 1588, fol. 3 v. – On trouve aussi cette expression dans une lettre attribuée à saint Léon : Ad Demetriadem. PL 55, 165.

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