LEGENDA MINOR chapitre 5

  1. L’OBÉISSANCE DES CRÉATURES ET LA COURTOISIE DE DIEU
  1. Si les mystères et les secrets de Dieu étaient connus de son serviteur, François voyait aussi les éléments du monde lui obéir, et cela grâce à l’esprit du Seigneur qui l’avait investi[1] et grâce au Christ, Sagesse et force de Dieu[2] qui lui avait communiqué sa puissance. Un jour, par exemple, les médecins prescrivirent comme traitement une cautérisation, et les frères le pressaient instamment d’y consentir, pour la guérison de ses yeux. L’homme de Dieu, humblement, s’y soumit, car il vit là non seulement une chance de remédier à la maladie, mais aussi l’occasion d’un acte de courage et de force. A la vue des instruments de fer rougis au feu, sa chair eut un sursaut d’horreur bien naturel. Mais il s’adressa au feu comme à un frère ; au nom et par la puissance du Créateur il lui ordonna de tempérer pour lui son ardeur, « afin, dit-il, que j’aie la force de supporter ta caresse brûlante ». Le fer encore tout pétillant d’étincelles fut enfoncé dans sa chair délicate, et la cautérisation s’étendit de l’oreille au sourcil… Alors, rempli de Dieu et l’esprit débordant de joie, il dit aux frères : « Louez le Très-Haut car, à vrai dire, je n’ai pas senti la brûlure du feu et ma chair n’a pas eu à souffrir ».
  1. Très gravement malade à l’ermitage de Saint-Urbain, il sentait ses forces l’abandonner : il demanda du vin. On lui dit qu’il n’y en avait pas une goutte. Il se fit alors apporter de l’eau, la bénit d’un signe de croix, et aussitôt ce qui n’avait été jusque là que de l’eau pure se changea en un vin excellent. Ce que la pauvreté de l’ermitage rendait impossible fut obtenu par la pureté du saint. A peine en eut-il goûté que les forces lui revinrent : preuve manifeste que la boisson souhaitée lui fut accordée par Celui qui donne si largement, moins comme flatteuse pour le goût que comme bienfaisante pour la santé.
  1. Une autre fois l’homme de Dieu, voulant se retirer dans un ermitage pour s’adonner plus librement à la contemplation, accepta, – car il était à bout de forces d’utiliser l’âne d’un pauvre homme pour s’y faire conduire. On était alors en été, et son guide qui gravissait à pied la montagne à la suite du serviteur de Dieu, n’en pouvant plus de fatigue et de soif en ce chemin long et accidenté, se mit à crier avec véhémence qu’il mourrait sur place s’il n’avait pas de quoi boire. Sans perdre un instant, l’homme de Dieu descend de son âne, se met à genoux, lève les mains vers le ciel et ne s’arrête de prier que lorsqu’il se sent exaucé. Il s’adresse alors à l’homme : « Cours à ce rocher : tu y trouveras une source que le Christ, dans sa bonté, vient de faire jaillir de la pierre pour que tu puisses boire. » L’homme assoiffé courut à l’endroit indiqué, il put se désaltérer à cette eau jaillie du roc[3] par la vertu d’un saint en prière, et c’est d’un rocher très dur[4] que Dieu fit ruisseler de quoi le rafraîchir.
  1. Un jour que le serviteur du Seigneur prêchait à Gaète sur la place, la foule, par dévotion, se ruait sur lui pour le toucher ; pour fuir ces manifestations d’enthousiasme, il sauta seul dans une barque amarrée là. Et voilà que la barque, aux yeux étonnés de tous les assistants, s’éloigna du rivage et avança de quelques brasses vers le large, sans l’intervention d’aucun rameur, comme propulsée et dirigée par sa propre force. Puis elle se tint immobile sur les flots aussi longtemps que le saint décida de prêcher aux foules assemblées sur la place. Après le sermon, le peuple témoin du miracle reçut la bénédiction et fut congédié par le saint. C’est seulement ensuite que, sans autre impulsion que la volonté du ciel, la barque aborda au rivage. Les Créatures obéissent à Celui qui les a faites[5] ; elles se soumettent aussi sans résistance aux parfaits amis du Créateur et leur obéissent sans délai.
  1. Pendant un séjour qu’il fit à l’ermitage de Greccio, les habitants de la contrée subissaient désastre sur désastre : la grêle qui ravageait tous les ans moissons et vignes, des bandes de loups féroces qui s’en prenaient non seulement au bétail mais encore aux hommes. Le serviteur du Dieu tout-puissant, plein de délicatesse et de pitié, en était très affligé. Dans un sermon public il leur promit et se porta garant que le fléau s’éloignerait s’ils voulaient se confesser et faire de vrais actes de pénitence[6]. Ils firent pénitence, conformément aux exhortations de François, et à partir de ce moment les fléaux disparurent, les périls périrent, les loups et la grêle cessèrent leurs ravages. Bien mieux : quand la grêle visitait les campagnes des alentours et s’approchait de leur région, elle s’arrêtait sur leurs confins ou prenait une autre direction.
  1. Un autre jour – c’était au cours d’une tournée de prédication dans la vallée de Spolète – il arriva en vue de Bevagna ; il aperçut un bosquet où des oiseaux de toute espèce s’étaient rassemblés par bandes entières. Sous l’impulsion de l’Esprit du Seigneur qui fit irruption en lui[7], il y courut aussitôt, les salua joyeusement et leur ordonna de se taire pour écouter attentivement la Parole de Dieu. Et il se mit à leur tenir un long discours sur les bienfaits que Dieu prodigue à ses créatures et sur les louanges que doivent donc lui rendre même les petits oiseaux. Ce discours provoquait chez les oiseaux de joyeuses manifestations : ils allongeaient le cou, déployaient leurs ailes, ouvraient le bec et regardaient attentivement François comme pour mieux se pénétrer de la puissance admirable de ses paroles. – C’est à bon droit que cet homme plein de Dieu[8] se sentait enclin, pour des créatures privées de raison, à de tendres sentiments d’humanité, puisqu’elles-mêmes, à leur tour, éprouvaient pour lui une merveilleuse inclination, jusqu’à écouter ses instructions, obéir à ses ordres, se réfugier en toute sécurité dans ses bras, et rester volontiers avec lui lorsqu’il lui plaisait de les retenir.
  1. Lors d’une tentative de traversée pour conquérir outremer la palme du martyre (ce que malheureusement la tempête l’empêcha de réaliser) la courtoisie prévoyante du Pilote universel vint à son secours pour l’arracher à la mort, lui et tout un équipage, et pour manifester en plein abîme ses merveilles[9] en faveur de François. Ce dernier, en effet, voulant revenir d’Esclavonie en Italie, était monté, absolument démuni de tout, sur un navire ; or, à l’heure même de l’embarquement, un inconnu envoyé par Dieu au secours de son petit pauvre, se présenta porteur des vivres nécessaires, appela l’un des matelots et les lui remit avec la consigne de les distribuer en temps opportun à ceux qui n’avaient rien. – Les vents soufflèrent avec tant de violence que les jours passaient sans qu’on pût aborder nulle part ; les matelots étaient à bout de provisions : il ne restait plus que la maigre ration d’aumônes offertes par le ciel au bienheureux. Grâce aux prières et aux mérites de celui-ci, la puissance de Dieu les multiplia tant et si bien que, malgré le retard occasionné par la tempête qui continuait de sévir, elles suffirent largement aux besoins de tous jusqu’à l’arrivée au port d’Ancône, but du voyage.

 

  1. Une autre fois, s’en allant prêcher avec un frère entre la Lombardie et la marche de Trévise, ils furent tous deux bloqués par la nuit sur la rive du Pô. Continuer dans cette obscurité sans voir le fleuve et au milieu des marais était très dangereux. Son compagnon insistait pour que, dans une situation aussi sérieuse, on implorât l’aide du ciel. Avec son immense confiance, l’homme de Dieu répondit : « S’il plaît à sa bonté, Dieu est assez puissant pour dissiper ces ténèbres et nous accorder le bienfait de sa lumière. » 0 merveille ! A peine avait-il parlé qu’une lumière miraculeuse les environna et, bien qu’au-delà régnât la nuit, ils voyaient clairement leur route et, dans un grand rayon, jusqu’à l’autre rive du fleuve, tous les alentours.
  1. Si le rayonnement de la clarté du ciel précédait ainsi leur marche au sein de la nuit, c’était pour démontrer que les ténèbres de la mort[10] ne parviennent pas à ensevelir ceux qui suivent la Lumière de la Vie sans dévier du chemin qu’elle leur trace. L’admirable splendeur de cette lumière avait été le guide de leur corps et le réconfort de leur âme ; après une longue route, François et son compagnon arrivèrent sans encombre, en chantant des hymnes et des cantiques de louange, à l’hospice où ils devaient descendre.

Quel homme merveilleux et admirable ! Pour lui le feu tempère son ardeur, l’eau change de goût, la roche fournit l’eau à profusion ; les objets inanimés se mettent à son service, des animaux féroces se convertissent à la douceur, des êtres sans raison l’écoutent avec application ; le Seigneur lui-même, le maître de toutes choses, accède avec bienveillance à ses désirs : sa largesse lui fournit la nourriture, et sa lumière lui sert de guide… Cet homme, qui était parvenu à la plus éminente sainteté, voyait toute créature se mettre à son service et le Créateur lui-même condescendre à ses désirs.

Chapitre suivant

Retour au sommaire

[1] Lc 4 18.

[2] 1 Co 1 24.

[3] Ps 77 16.

[4] Dt 32 13.

[5] Sg 16 24.

[6] Mt 3 8.

[7] Jg 14 6.

[8] Gn 41 38

[9] Ps 106 24.

[10] Jb 10 21.

Les commentaires sont fermés