FIORETTO 46

CHAPITRE 46

COMMENT FRÈRE PACIFIQUE, ÉTANT EN PRIÈRE, VIT L’ÂME DE FRÈRE HUMBLE, SON FRÈRE, ALLER AU CIEL [1].

Dans cette province de la Marche, il y eut, après la mort de saint François, deux frères selon la chair, dont l’un s’appelait frère Humble et l’autre frère Pacifique [2], et qui furent hommes de grande sainteté et perfection ; et l’un d’eux, à savoir frère Humble, demeurait dans le couvent de Soffiano [3] et y mourut ; l’autre était de famille dans un autre couvent très éloigné. Comme il plut à Dieu, frère Pacifique, étant un jour en prière dans un lieu solitaire, fut ravi en extase et vit l’âme de son frère, frère Humble, aller tout droit au ciel, sans aucun retard ou empêchement : c’était au moment où elle se séparait de son corps.

Puis il advint, après nombre d’années, que ce frère Paci­fique, qui survivait, fut envoyé de famille dans ce couvent de Soffiano où son frère était mort. En ce temps-là les frè­res, à la demande des seigneurs de Brunforte, abandonnè­rent ce couvent pour un autre ; et par suite ils transportè­rent, entre autres choses, les reliques des saints frères qui étaient morts dans ce couvent [4]. Et comme on arrivait à la sépulture de frère Humble, son frère, frère Pacifique, prit ses ossements, les lava avec du bon vin, les enveloppa ensuite dans une nappe blanche, et avec grande révérence et dévotion, il les baisait et pleurait ; les autres frères s’en étonnèrent beaucoup, et ils ne trouvaient pas que ce fût un bon exemple, car, alors qu’il était un homme de grande sainteté, il paraissait pleurer son frère par amour sensuel et terrestre, et témoigner plus de dévotion à ses reliques qu’à celles des autres frères qui n’avaient pas été de moindre sainteté que frère Humble, et dont les reliques étaient dignes d’autant de respect que les siennes.

Frère Pacifique, connaissant la mauvaise pensée des frè­res, leur donna humblement satisfaction et leur dit : « Mes frères bien-aimés, ne vous étonnez pas de ce que j’aie fait pour les os de mon frère ce que je n’ai pas fait pour les autres ; car, béni soit Dieu ! ce n’est pas, comme vous le croyez, l’amour charnel qui m’y a poussé ; mais j’ai agi ainsi parce que, quand mon frère passa de cette vie, comme je priais dans un lieu désert et éloigné de lui, je vis son âme monter tout droit au ciel ; et pour cela je suis sûr que ses ossements sont saints et doivent être un jour au paradis. Et si Dieu m’avait accordé une telle certitude au sujet des autres frères, j’aurais à leurs os témoigné le même res­pect. » Les frères, voyant, par ce fait, sa sainte et dévote intention, furent bien édifiés par lui et louèrent Dieu, qui accomplit de tels miracles en faveur de ses saints frères.

A la louange du Christ. Amen.

Chapitre 47

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[1] Ce chapitre, qui manquait dans le manuscrit des Actus de Paul Sabatier, a été publié par lui d’après la Chronique des XXIV Généraux, p. 213 ; ici encore un texte plus voisin de la version italienne nous est fourni par le manuscrit de M. A.-G. Little, 47 ; titre : D’un frère qui vit 1’âme de son frère (germani sui) portée par les anges. Sur ces deux frères, nous ne savons rien, si ce n’est que frère Humble mourut vers 1234 et que frère Pacifique mourut à Soffiano. Ce frère Pacifique ne doit pas être confondu avec un autre frère Pacifique beaucoup plus célèbre, « cou­ronné roi des poètes par l’empereur », et envoyé en France par saint François en 1217.

[2] Due fratelli… frate Umile… frate Pacifico.

[3] Dans son édition des Actus, p. 214, n. 2, Paul Sabatier a donné une des­cription charmante des différents couvents occupés par les frères Mineurs aux environs de Sarnano, à huit lieues environ au sud-ouest de Mace­rata ; le premier était à Roccabruna ; le second, beaucoup plus haut, dans la montagne, à Soffiano, et c’est celui dont il est question ici ; le troisième enfin, où les frères se transportèrent, comme il va être dit ci-dessous, en abandonnant Soffiano, à Brunforte ; sur le couvent de Brunforte, voir chap. 41, n. 7.

[4] Comme le frère dont il va être parlé au chapitre 47 est mort à Soffiano en 1260, la translation en question ne peut avoir eu lieu qu’après cette date.

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