FIORETTO 12

Chapitre 12

COMMENT SAINT FRANÇOIS PRÉPOSA FRÈRE MASSÉE A L’OFFICE DE LA PORTE, DE L’AUMÔNE ET DE LA CUISINE, PUIS L’EN DÉCHARGEA A LA PRIÈRE DES AUTRES FRÈRES [1].

 

Saint François voulut humilier frère Massée, pour que les nombreux dons et grâces que Dieu lui accordait ne le fas­sent pas s’exalter en vaine gloire, mais le fassent croître de vertu en vertu par la vertu d’humilité ; et une fois qu’il demeurait dans un couvent solitaire avec ses premiers com­pagnons véritablement saints, parmi lesquels était ledit frère Massée, il dit un jour à frère Massée devant tous ses com­pagnons : « O frère Massée, tous tes compagnons que voici ont la grâce de la contemplation et de l’oraison, mais toi tu as la grâce de la manière de prêcher la parole de Dieu qui satisfait le peuple. Aussi je veux, pour que ceux-ci puissent s’adonner à la contemplation, que tu te charges de l’office de la porte, de l’aumône et de la cuisine ; et quand les autres frères mangeront, tu mangeras hors de la porte du couvent, de façon qu’avant qu’ils ne frappent, tu satisfasses de quelques bonnes paroles de Dieu ceux qui viendront au couvent, et qu’il ne soit nécessaire à personne autre que toi de sortir pour eux. Et cela fais-le par le mérite de la sainte obéissance. » Alors frère Massée retira son capuchon [2], inclina la tête, reçut humblement cet ordre et l’exécuta pen­dant plusieurs jours, faisant l’office de la porte, de l’aumône et de la cuisine.

Ses compagnons, en hommes illuminés de Dieu, com­mencèrent à en éprouver dans leurs cœurs de grands regrets, considérant que frère Massée était, autant et plus qu’eux, homme de grande perfection, et que c’était à lui et non à eux qu’était imposée toute la charge du couvent. C’est pourquoi ils allèrent tous, mus par une même volonté, prier le père saint qu’il lui plut de distribuer entre eux ces offices, parce que leur conscience ne pouvait souffrir en aucune façon que frère Massée supportât tant de fatigues [3]. Enten­dant cela, saint François s’en rapporta à leurs conseils et acquiesça à leurs désirs ; et appelant frère Massée il lui parla ainsi : « Frère Massée, tes compagnons veulent pren­dre part aux offices que je t’ai imposés, aussi je veux que lesdits offices soient divisés. » Frère Massée dit avec grande humilité et patience : « Père, ce que tu m’imposes, ou en tout, ou en partie, je le tiens comme venant entièrement de Dieu. » Alors saint François, voyant la charité de ces frères et l’humilité de frère Massée, leur fit un merveilleux sermon sur la très sainte humilité, leur enseignant que nous devons être d’autant plus humbles que sont plus grands les dons et grâces que Dieu nous accorde, car sans l’humilité aucune vertu n’est acceptable à Dieu. Et après ce sermon, il répartit les offices avec une très grande charité.

A la louange du Christ. Amen.

Chapitre 13

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[1] Actus, 12 ; titre : Comment frère Massée fut éprouvé par saint François. La date et le lieu de cet épisode sont inconnus, mais il se place certaine­ment dans les premières années de l’Ordre.

[2] Au chapitre 16, nous verrons saint François faire le même geste – nudato capite, dit le texte des Actus – pour recevoir dans une humble attitude les réponses de sainte Claire et de frère Sylvestre, qui devaient lui faire connaître l’ordre de Notre-Seigneur concernant sa vocation.

[3] Les Actus ajoutent à cet endroit : « Et en outre, ils sentaient même qu’ils seraient froids dans leurs prières et dissipés dans leur conscience si frère Massée n’était pas relevé de ces charges. » Faut-il voir dans la suppres­sion de ce passage un léger blâme du traducteur italien à l’auteur du texte latin ?

 

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